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payés, par hypothèse, par les résidents Anglais ne représentent une valeur très supérieure à la valeur des produits ou services effectivement consommés par eux : — 1° D’abord, parce qu’ils paient toutes choses plus qu’elles ne valent. Or, toutes réserves faites d’ailleurs sur la moralité d’un semblable procédé, il faut bien constater qu’il n’est guère de villes fréquentées par les étrangers où tous les marchands n’aient deux prix, l’un pour les étrangers et l’autre pour les gens du pays. — 2° De plus, parce que très souvent l’étranger paie l’usage d’une richesse qui n’est pas de sa nature consommable ni destructible. Quand l’étranger, en louant une villa pour la saison ou en prenant un guide pour la journée, achète le droit de jouir d’un beau ciel, de respirer un air salubre, de contempler la mer bleue ou les montagnes blanches, il n’enlève rien à la richesse du pays : il lui paie une véritable rente, identique à la rente qui profite à tout propriétaire ayant le monopole d’un avantage naturel quelconque. Et pourquoi, en effet, des panoramas comme ceux de la Suisse, des golfes d’azur comme ceux de Nice, des cascades comme celles de la Norwège, de grands souvenirs comme ceux des villes d’Italie, ne seraient-ils pas pour ces pays des sources de richesses tout aussi bien que des mines de charbon ou des forêts ?

Si donc le bénéfice qu’un pays retire de la présence d’étrangers nous paraît incontestable[1], la perte qu’il éprouve par l’absence de ses indigènes nous paraît non moins certaine ; c’est face et revers d’une même médaille. Le pays déserté par les riches, verra son numéraire suivre les absentéistes, puis ses produits suivre son numéraire, puis finalement sa population suivre le même chemin que ses produits.

  1. Au point de vue économique, car au point de vue moral, il peut en être différemment. Rien de plus démoralisant pour un pays et une population laborieuse et honnête que l’affluence de riches étrangers venus pour s’amuser et de tous les parasites qui suivent ces étrangers, le spectacle de leur luxe et de leurs vices, et l’appât d’un gain facile il n’y a qu’à voir dans tous les endroits fréquentés par les étrangers le nombre d’enfants dressés à mendier ou pire encore !