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Un semblable système ne serait pas inconciliable avec une bonne exploitation du sol, comme l’affirme M. P. Leroy-Beaulieu, puisque les plus grands travaux modernes (chemins de fer, canal de Suez, etc.) ont été faits sous cette forme surtout si on avait la précaution de renouveler les concessions un certain temps avant l’arrivée du terme. Il faut même reconnaître qu’un tel état de choses serait plus favorable à une bonne culture que la situation présente de beaucoup de pays, dans lesquels la presque totalité de la terre est cultivée par de pauvres fermiers qu’on peut congédier à volonté.

Mais la mise à exécution d’un semblable projet rencontrerait un obstacle insurmontable dans l’opération préalable du rachat, si on voulait la faire, comme on le doit, avec équité. Elle serait en effet absolument ruineuse, puisque la valeur de la terre en France est évaluée à environ 80 milliards et que l’État par conséquent aurait à emprunter pareille somme pour indemniser les propriétaires[1].

  1. Voy. cependant le système de rachat proposé par M. Walras (Économie sociale) comme avantageux pour l’État.
    Nous avions suggéré nous-même autrefois un système de rachat qui ne serait pas bien onéreux (De quelques doctrines nouvelles sur la propriété foncière — Journ. des Économistes, mai 1883). L’État pourrait acheter les terres payables comptant et livrables dans 99 ans, et il est certain que dans ces conditions, il pourrait les obtenir à un prix minime, car le propriétaire mettant en balance d’une part une dépossession à un terme si éloigné que ni lui ni même ses petits-enfants n’auraient à en souffrir, et d’autre part une somme à toucher immédiatement, n’hésiterait guère à accepter le prix, si faible qu’il fût. On peut du reste le calculer mathématiquement par les tables d’annuités : 1.000 francs à toucher dans 100 ans, soit en 1998, au taux de 5 p. 0/0, valent aujourd’hui, en 1898, 7 fr. 98. Donc 100 milliards, en admettant que telle soit la valeur de la propriété foncière en France, livrables dans 100 ans, ne valent théoriquement que 798 millions comptant.
    M. Paul Leroy-Beaulieu, tout en déclarant que ce plan de rachat « est le plus ingénieux peut-être a de tous ceux qui ont été proposés (Collectivisme, 1re édit., p. 176), le rejette néanmoins comme impraticable. Nous n’insisterons pas nous-même beaucoup pour son adoption, par cette seule raison que s’il est vrai que 100 milliards à toucher dans 100 ans ne valent pas grand chose, il est vrai aussi qu’une réforme sociale à réaliser dans cent ans vaut encore moins. Et de plus, le taux de capitalisation s’étant élevé depuis que cet article à paru, les bases de mon calcul se trouvent gravement modifiées. Au taux actuel de 3 p. 0/0, ce n’est plus seulement 798 millions mais un peu plus de 5 milliards qu’il faudrait