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contestée par personne[1] — puisque même en admettant l’assimilation du travail à une marchandise, chacun doit être libre de refuser de vendre sa marchandise si on ne lui donne pas le prix qu’il en demande, — mais c’est son efficacité qui est encore aujourd’hui fort discutée.

La grève, étant un moyen de guerre, a tous les inconvénients de la guerre : elle entraîne une énorme gaspillage de forces productives[2] ; elle cause de grandes souffrances, et laisse toujours dans le cœur du vaincu (ouvrier ou patron) des ressentiments qui préparent de nouveaux conflits. Mais on ne peut nier que ce moyen violent n’ait contribué à relever le taux des salaires en forçant les patrons à faire à leurs ouvriers une part plus large. Il ne faut pas juger de l’efficacité des grèves seulement par la proportion des grèves ayant réussi ou échoué que donnent les statistiques[3]. Une seule grève qui réussit peut faire augmenter les salaires dans une foule d’industries. Et d’ailleurs c’est moins la grève elle-même qui agit pour relever le taux des salaires, que la crainte toujours imminente de la grève. Il semble même que plus les associations sont nombreuses et fortement constituées, moins il y ait de grèves — de même que l’organisation, dans chaque État d’Europe, de puissantes armées a eu justement pour effet de réduire le nombre des guerres.

  1. Ce droit cependant est contesté, non sans motifs sérieux, pour les ouvriers qui appartiennent à un service d’État (fonctionnaires, employés de manufactures d’État, des postes, etc.), ou même à un service ayant un caractère d’intérêt publie urgent (gaz, eaux, chemins de fer, etc.).
  2. Le Bureau de statistique du Travail des États-Unis a évalué à 1.427 millions de francs (dont 2/3 pour les ouvriers, 1/3 pour les patrons) les pertes causées par les grèves et les lockouts pendant les treize années 1882-1894. (On désigne sous le nom de lockout la grève des patrons, quand ceux-ci s’entendent pour fermer simultanément leurs ateliers et forcer par là les ouvriers à capituler).
  3. D’après les nombreuses statistiques publiées à ce sujet il faut compter dans les grèves, en moyenne, moitié de réussites et moitié d’échecs. Les statistiques semblent démontrer que la proportion des grèves qui réussissent devient particulièrement considérable dans les périodes de prospérité industrielle. Pourquoi ? parce que c’est justement alors que les patrons font de plus gros bénéfices, et par l’effet ou la menace des grèves, ils se résignent à en abandonner une partie à leurs ouvriers, ce que très probablement ils ne feraient pas sans cela (Voy. Schwiedland, Revue d’Économie politique, 1890, p. 539).