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productive de sa vie, il est bien juste qu’il puisse se reposer pendant la période improductive. Les socialistes mêmes, tels que Bellamy dans son roman Looking Backward[1], annoncent que dans le régime collectiviste l’homme à 45 ans sera libéré de tout service vis-à-vis de la société et qu’à partir de cet âge il fera ce qu’il voudra et vivra en rentier.

Mais cela est également vrai pour les rentiers qui ne peuvent invoquer leur travail passé parce qu’ils n’ont rien fait depuis leur naissance. Ceux-ci aussi vivent ou sont présumés vivre sur un travail passé : celui de leur père, grand-père, ou bisaïeul qui, à une époque quelconque, a créé la fortune et la leur a laissée avec le droit de la mander dans l’oisiveté.

Nous avons comparé les pièces de monnaie à des bons de consommation donnant droit à consommer telle quantité de richesses qu’on choisira jusqu’à concurrence de leur valeur. Un homme a gagné par son travail un grand nombre de ces bons : s’il ne veut pas les utiliser présentement ni plus tard pour lui-même, il les transmettra à quelqu’un qui les utilisera à son lieu et place. Mais voici que nous rencontrons la grosse question de l’hérédité.

L’hérédité qui assure aux fils des riches, jusqu’à la centième génération peut-être, le privilège d’être riches à leur tour sans avoir rien fait pour le mériter, était considérée par les socialistes d’autrefois, Saint-Simon par exemple (Voy. p. 424), comme un des vices les plus graves de l’ordre social, comme la cause principale de toutes les injustices qui règnent dans la répartition des richesses.

Pourtant, il y aurait quelque puérilité à s’opposer à l’hérédité des richesses alors qu’on ne peut songer à empêcher la transmission par l’hérédité de tant d’autres privilèges plus importants encore que celui de la fortune, tels que la santé, le talent, les vertus, la considération sociale, le nom même qui, à lui seul, dans bien des cas, vaut une fortune. Certes s’il est un fait qui mérite le nom de loi naturelle plus encore que l’inégalité, c’est bien celui de l’hérédité.

  1. Traduit en français sous le titre Seul de son siècle.