Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stimule la marche des sociétés humaines et prépare l’avènement d’une vie plus haute pour tous. Il y a une inégalité funeste qui paralyse le développement du corps social en faisant vivre à ses dépens des classes parasites. Reste à savoir à laquelle de ces deux catégories il convient de rattacher les inégalités qui caractérisent nos sociétés modernes.

Pour produire les effets salutaires qu’on en attend, les inégalités de fortune doivent avoir trois caractères : elles doivent être dans un certain rapport avec les œuvres de chacun, elles ne doivent pas être perpétuelles, elles ne doivent pas être excessives.

D’abord, quand l’inégalité des parts est sans aucune relation avec le concours effectif apporté à l’œuvre sociale, quand au lieu de découler de causes naturelles, elle tient à des causes artificielles, telles que les conquêtes passées ou une législation longtemps oppressive, alors elle apparaît comme une injustice : elle entretient dans la société une irritation et un malaise que le temps rend plus aigu au lieu de le guérir.

Quand, de plus, l’inégalité prend un caractère permanent et en quelque sorte fatal, quand elle crée des classes, quand les fils des riches semblent destinés à être toujours riches et les fils des pauvres toujours pauvres, elle produit de fâcheux résultats, même au point de vue de l’activité productrice. Elle décourage ceux qui sont au bas de l’échelle, en leur enlevant toute chance d’y monter : elle endort ceux qui sont en haut dans la sécurité d’une situation définitive[1]. Elle arrête le travail aussi bien entre les mains de ceux qui sont trop pauvres — parce qu’ils n’ont plus la possibilité de produire — que de ceux qui sont trop riches — parce qu’ils n’en ont plus la volonté. Elle engendre ces deux maux qui affligent depuis si longtemps nos sociétés, qui s’appellent, le premier l’oisiveté, le second le paupérisme, et l’un comme l’autre aboutissent à la consommation improductive, et perpétuant ainsi en

  1. Si la mythologie a donné à la Fortune un bandeau, ce qui veut dire qu’elle est aveugle dans la distribution de ses largesses, — du moins lui a-t-elle donné aussi une roue, ce qui veut dire que la chance tourne et qu’elle doit être tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre.