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droit de disposer : vendre, louer ou prêter — n’entraînât un relâchement correspondant de l’activité individuelle.

Quant au second point, sauvegarder la liberté individuelle, ici les socialistes ont plus beau jeu. Ils n’ont pas de peine à montrer que dans nos sociétés la liberté est un bien plus souvent réservé, comme tous les autres, aux riches qu’aux pauvres et que la misère est, par elle-même et par ses conséquences, une servitude. Mais enfin le système de répartition actuel a ceci de bon, au point de vue de la liberté, qu’il n’exige pas l’intervention d’une autorité distributive : le législateur n’a pas à faire les parts, puisque chacun se fait lui-même la sienne en la créant. S’il intervient, c’est seulement pour réprimer les écarts du mécanisme mais non pour le mettre en mouvement : celui-ci fonctionne, comme nous l’avons vu, d’une façon automatique, spontanée. Or, c’est là une grande supériorité et que ne saurait présenter aucune des solutions même les plus parfaites en théorie. Car en admettant que l’on découvre une formule de justice distributive idéale, pourra-t-on faire qu’elle opère d’elle-même, par sa vertu propre, et ne faudra-t-il pas une autorité chargée de l’appliquer en faisant à chacun sa part, comme la mère de famille coupe à chaque enfant sa part de gâteau ? Et la réglementation dans la répartition n’entraînera-t-elle pas forcément la réglementation dans ta production et dans le travail ? L’autorité quelconque chargée de la répartition pourra-t-elle, au jour de la moisson, mesurer à chacun sa gerbe si elle a d’abord laissé à chacun la liberté de semer et de labourer à son gré ? Cela est peu vraisemblable[1].

Le problème se pose donc ainsi : tâcher de faire régner plus de justice dans la répartition des richesses, sans entra-

  1. Les anarchistes nous assurent pourtant que toute autorité distributive sera inutile et nous promettent une liberté auprès de laquelle celle d’aujourd’hui n’est qu’une effroyable servitude ; mais, de leur propre aveu, leur thèse suppose deux postulats miraculeux ;
    1° Surabondance de tous les produits en telle quantité que personne n’ait plus intérêt à se les disputer ;
    2° Bonne volonté entre tous les hommes réalisée simplement par un changement du milieu social.