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abus des achats à crédit et du papier-monnaie que dans les importations étrangères[1].

Il est absurde surtout de prétendre, en thèse générale, que les droits protecteurs sont payés par l’étranger et que loin d’imposer aucune charge au pays, ils constituent au contraire un supplément de revenus pour l’État ! Ce serait vraiment trop commode si un pays pouvait se procurer ainsi des revenus en les prenant dans la poche des États voisins ! Du reste en admettant qu’il eût ce singulier pouvoir, comme ce ne serait pas un secret, il est clair que chaque pays s’empresserait d’en profiter à son tour pour faire payer ses impôts par ses voisins, et dès lors aucun n’en serait plus avancé.

Cette éventualité peut se réaliser pourtant dans des circonstances exceptionnelles[2]. Mais en règle générale et en vertu d’une loi connue en matière d’impôts sous le nom de loi de ré-

  1. M. Poinsard, dans son livre déjà cité, range au contraire cette catégorie de pays parmi ceux auxquels le libre-échange serait indispensable !
  2. Voici quel est le cas, qui a été signalé en particulier par Stuart Mill. Toute élévation de prix entraîne une réduction dans la consommation. Le producteur étranger aura donc à se demander s’il n’est pas de son intérêt de consentir un sacrifice, en abaissant le prix de ses articles d’une somme égale au montant du droit, afin de conserver sa clientèle en lui maintenant ses anciens prix. Le droit qui frappe ses produits le met dans cette fâcheuse alternative, ou de restreindre le chiffre de ses ventes ou de faire un sacrifice sur le prix. Il n’est pas impossible que, tout compte fait, son intérêt l’engage à choisir le second parti, c’est-à-dire à prendre à sa charge tout ou partie du droit. C’est ainsi qu’actuellement certains producteurs de vins espagnols, plutôt que de perdre le marché français, se résignent à supporter (c’est-à-dire à rabattre sur leur prix de vente) les droits considérables dont ces vins sont frappés depuis 1892 : leur prix ne s’est pas élevé en France. C’est ainsi que beaucoup de fabricants français, pendant la guerre commerciale franco-suisse de 1893 à 1895, pour ne pas perdre leur clientèle suisse, avaient pris à leur charge tout ou partie des droits établis par le nouveau tarif.
    Toutefois pour que des producteurs étrangers se résignent à cette extrémité, il faut deux conditions préalables : 1° que leur prix de revient le leur permette ; 2° qu’ils ne trouvent pas le moyen d’écouler leurs produits sur un autre marché. — Ce serait donc une chimère de se baser sur cette éventualité. En tout cas, comme nous le disons dans le texte, en admettant qu’elle se réalise, le but visé par l’établissement du droit protecteur se trouve alors manqué. C’est un dilemme auquel il est impossible d’échapper.