Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

utilité est justement de servir à fabriquer la monnaie. Par conséquent, quand on parle de la demande des métaux précieux, il faut entendre par là presque exclusivement la demande qu’en font une douzaine de grands États pour leurs Hôtels des Monnaies. Or il n’y a rien d’absurde à penser que si cette douzaine d’acheteurs s’entendaient pour fixer les prix respectifs des deux métaux, ils ne pussent en effet y réussir. S’ils déclarent qu’ils achèteront tous le kil. or sur le pied de 3.100 fr., et le kil. argent sur le pied de 200 fr., il est fort probable qu’ils feront la loi au marché. On dit qu’il serait absurde de décréter qu’un bœuf vaudra toujours dix moutons ou qu’un hectolitre de blé vaudra toujours deux hectolitres d’avoine ! Oui sans doute, parce que le marché de ces marchandises est immense et que chacun de nous par ses achats personnels contribue à en régler les cours. Mais s’il n’y avait de par le monde qu’une douzaine de personnes qui fissent usage de bœuf ou de mouton, il est très vraisemblable qu’il dépendrait d’elles, en se coalisant, d’en fixer les prix sur le pied de 1 à 10 ou sur tout autre pied qu’il leur plairait. Un pareil résultat a été obtenu très souvent, et malgré des conditions bien moins favorables, dans les spéculations commerciales formées par de grands commerçants coalisés, sous le nom de Cartels ou Trusts[1].

Sans doute, il ne faut pas pousser cette conclusion à l’absurde. Il va sans dire qu’il ne serait pas au pouvoir des gouvernements, fussent-ils unanimes, de décréter que le rapport entre l’or et l’argent sera désormais sur pied d’égalité, ou mieux encore, que le rapport sera renversé et que désormais 1 kil. d’argent vaudra 15 kil. 1/2 or ! Pourquoi une telle dé-

  1. On peut citer d’ailleurs maintes preuves de cette influence exercée par le législateur sur le cours des métaux précieux : — par exemple la stabilité du rapport entre la valeur des deux métaux qui s est prolongée près de trois quarts de siècle grâce à la loi française ; — et en sens inverse la baisse de l’argent produite par la démonétisation de l’Allemagne, aggravée plus tard par la convention qui a supprimé la frappe de ce métal dans l’Union Latine et précipitée récemment par la suppression de la frappe dans l’Inde anglaise (Voyez les nombreuses brochures de Cernuschi sur cette question).