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Comment un homme pourrait-il se cantonner dans une seule occupation, par exemple consacrer sa vie à faire des clous ou des fromages, s’il ne pouvait compter que d’autres feront du pain pour eux et pour lui et qu’il pourra ainsi se procurer par l’échange tout ce qu’il ne produit pas lui-même ? Spécialisation des métiers et échange des produits, voilà les deux traits caractéristiques de l’organisation sociale.

Mais il ne faut pas croire qu’il en ait été ainsi de tout temps. L’échange n’est pas un mode d’organisation aussi naturel que l’association ou la division du travail, que certaines espèces animales elles-mêmes savent mettre en pratique. Bien loin d’être instinctif, il paraît même avoir été d’abord antipathique à la nature humaine. L’homme primitif considérait ce qu’il avait fait, les produits de son travail, comme inhérents à sa personne. De là les formalités étrangement solennelles dont l’aliénation est entourée à ses origines (par exemple la mancipation du droit romain). Chose curieuse ! le don paraît avoir été pratiqué avant l’échange et c’est peut-être même lui qui a donné naissance à l’échange sous l’apparence d’un don réciproque[1].

Dans la première phase d’organisation industrielle, celle de la famille, il est évident qu’il ne peut y avoir lieu à aucun échange, chaque groupe formant un organisme autonome qui se suffit à lui-même. C’est uniquement par le travail de ses membres et de ses esclaves, plus tard par les corvées de ses serfs, que le groupe pourvoit à ses besoins[2]. Tout au plus l’échange intervient-il sous forme extraordinaire et accidentelle pour certains produits exotiques que des marchands étrangers apportent du dehors (Voir ci-après le chap. Les marchands).

Dans la seconde phase, celle de l’industrie corporative, l’échange apparaît nécessairement avec la séparation des métiers. Toutefois, il est renfermé dans les murailles de la même ville : c’est sur le marché urbain que se rencontrent les producteurs et consommateurs qui sont concitoyens. Les mar-

  1. V. Herbert Spencer, Principes de sociologie, ive partie.
  2. Voy. Bücher, L’évolution économique dans l’histoire, Revue d’Économie politique, 1894.