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nous, il faudra bien renoncer à ces procédés de culture extensive et concentrer le travail et le capital sur des surfaces de plus en plus réduites pour accroître le rendement. Déjà, d’un recensement à l’autre, on a vu s’opérer une réduction considérable dans l’étendue des exploitations agricoles (moyenne en 1850, 82 hectares ; en 1890, 55 hect.)[1].

Le fait capital qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que si la grande culture procure quelques économies sur les frais généraux, elle présente, d’autre part, un vice en quelque sorte rédhibitoire : elle obtient du sol, proportionnellement à la surface exploitée, une bien moindre quantité de richesses que la petite culture. Elle peut donner un produit net plus considérable, c’est-à-dire plus de bénéfices au propriétaire, mais elle donne un produit brut très inférieur[2]. Or, étant donnée la densité croissante de la population dans toutes les sociétés civilisées, l’avenir appartiendra au mode de culture qui saura retirer du sol la plus grande quantité de subsistances.

Nous trouvons ici la vérification et l’explication de cette loi que nous avons signalée déjà à propos de l’emplacement (voy. p. 127), à savoir la réduction progressive des superficies exploitées au fur et à mesure qu’un peuple passe par les phases successives de la vie de chasseur, de la vie pastorale,

  1. Levasseur. L’Agriculture aux États-Unis.
  2. Dans son Traité des systèmes de culture qui n’a pas vieilli, quoique déjà ancien, M. Hippolyte Passy va plus loin, car il attribue une supériorité à la petite culture, non seulement au point de vue du produit brut mais même au point de vue du produit net.
    Et cette assertion hardie peut se justifier, si l’on pense que la grande culture implique nécessairement le travail salarié ; or le travail salarié appliqué à la terre ne donne qu’un rendement très inférieur au travail de l’usine : d’abord parce que les ouvriers ne peuvent pas être surveillés d’aussi près ; et ensuite parce que les résultats de leur travail ne sont presque jamais immédiatement appréciables (exemples semailles, greffes, plantations, etc.).
    Ce qui fait illusion sur la supériorité de la grande culture, c’est la supériorité intellectuelle que présente d’ordinaire dans notre société les grands agriculteurs sur les petits paysans on voit les grands domaines mieux tenus et donnant l’exemple des améliorations agricoles, et on attribue à la différence des modes d’exploitation ce qui ne tient en réalité qu’à la différence de condition et d’instruction des personnes.