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en dise, la petite culture disparaître devant la grande[1].

Les collectivistes, il est vrai, d’accord en cela avec la plupart des économistes de l’école classique, soutiennent que ce n’est là qu’une anomalie, un simple retard dans l’évolution, imputable au caractère un peu routinier de l’industrie agricole. Et ils font valoir l’exemple des États-Unis qui font l’agriculture sur plus grande échelle : n’est-ce pas à elle que les agriculteurs américains doivent cette supériorité qui leur permet de venir écraser nos agriculteurs d’Europe sur nos propres marchés ?

L’exemple des États-Unis ne prouve rien contre notre thèse. Ces fermes colossales du Nouveau-Monde, en effet, si elles ont l’avantage de produire le blé à très peu de frais, ont l’inconvénient de ne donner qu’un très petit rendement. Ce rendement ne dépasse guère une moyenne de 11 hectolitres par hectare, c’est-à-dire inférieur à celui des terres les plus médiocres de France (moyenne 16 hectol.). On peut se permettre aux États-Unis cette culture extensive parce que la terre y est à discrétion et la population relativement rare : mais du jour où les hommes y seront aussi nombreux que chez

  1. En 1860, on comptait dans Paris 62.000 ouvriers artisans travaillant en chambre, seuls ou avec un apprenti : or en 1872 le nombre avait atteint 100.000 (Voy. la discussion de la Société d’Economie politique de Paris sur ce sujet dans le Journal des Economistes de novembre 1884). Même dans le commerce on ne voit pas que les grands magasins réduisent sensiblement le nombre des petits, On comptait à Paris, en 1873, 11.528 magasins et, en 1885, le nombre était de 11.624. il avait donc légèrement augmenté.
    Enfin pour l’agriculture, bien que les statistiques soient très imparfaites et à certains égards contradictoires, il semble bien que la petite culture aille plutôt progressant. Toujours est-il que d’après la statistique agricole de 1882, on comptait en France 5.672.000 exploitations agricoles, ce qui donnait une moyenne de 8, 65 hectares par exploitation. Or la statistique agricole de 1892 en compte 5.702.752 avec une étendue moyenne de 8, 65 hectares. Certes on ne constate donc aucune tendance vers la concentration des exploitations rurales, mais au contraire un progrès, quoique faible, de la petite culture.
    Les chiffres sont encore plus significatifs si l’on sépare les grandes et les petites exploitations. Celles inférieures à 10 hectares ont passé de 4.802.697 à 4.852.963 augmentant ainsi d’un peu plus de 1 p. 0/0 en dix ans, tandis que celles supérieures à 10 hectares ont passé de 869.310 à 849.789 diminuant d’un peu plus de 2 p. 0/0.