Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pole[1], il suffit de remarquer que tout monopoleur a intérêt à abaisser ses prix pour augmenter ses ventes et à prendre pour devise celle du magasin du Bon Marché : « vendre bon marché pour vendre beaucoup ».

5o  Qu’elle n’amène pas nécessairement l’égalisation des profits et des fortunes, puisque en somme la concurrence est une véritable guerre qui assure la victoire aux forts par l’écrasement des faibles. On ne voit pas que les guerres politiques aient pour résultat d’assurer l’égalité des forces entre nations, ni que la concurrence vitale, le struggle for life entre les espèces végétales ou animales, ait pour effet de contenir leur développement dans des limites égales. C’est précisément le contraire qui est vrai. Et de même aussi les pays où la concurrence industrielle bat son plein, comme aux États-Unis par exemple, sont ceux où surgissent les fortunes les plus colossales.

6o  Enfin le résultat le plus inattendu et le plus curieux c’est que l’état de concurrence ne paraît pas un état stable, puisque l’expérience nous apprend qu’il tend à se détruire lui-même en engendrant le monopole ! Il tend, précisément par l’élimination des petits au profit des gros, à constituer des entreprises géantes qui cherchent à supprimer et suppriment par le fait toute concurrence. Et ces grands producteurs cherchent à s’unir à leur tour en gigantesques syndicats nationaux ou internationaux (appelés Trusts aux États-Unis, Cartels en Allemagne) qui régissent despotiquement, au moins pour un certain temps, toute une branche de la production. Ces grandes entreprises, qui deviennent en quelque sorte des États dans l’État, éveillent les défiances des gouvernements qui interviennent alors à coups de réglementation ou de tarifs et qui dans certains cas se substituent eux-mêmes à ces entreprises, remplaçant ainsi un monopole privé par un monopole public[2].

En somme, l’évolution qui se dessine de notre temps semble-

  1. Voy. les beaux chapitres de Cournot sur cette question dans sa Théorie mathématique des richesses.
  2. Voy. pour ces syndicats, ci-après, La grande production.