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inoccupé, languissant de l’être, le corps exaspéré par la contrainte, je partis sur les routes, sans but, usant ma fièvre vagabonde. Je connus tout ce que vous savez : le printemps, l’odeur de la terre, la floraison des herbes dans les champs, les brumes du matin sur la rivière, et la vapeur du soir sur les prairies. Je traversai des villes, et ne voulus m’arrêter nulle part. Heureux, pensais-je, qui ne s’attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités. — Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l’homme pense trouver un repos — et les affections continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées — tout ce qui compromet la justice ; je disais que chaque nouveauté doit nous trouver toujours tout entiers disponibles.

Des livres m’avaient montré chaque liberté provisoire et qu’elle n’est jamais que de choisir son esclavage, ou du moins sa dévotion, comme la graine des chardons vole et rôde, cherchant le sol fécond où fixer des racines, — et qu’elle ne fleurit qu’immobile. Mais ayant appris dans les classes que les raisonnements ne mènent pas les hommes et qu’à chacun s’en peut opposer un