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Et cette nuit chacun de nous chanta, sous forme de ballades : Moelibée la

BALLADE
DES PLUS CÉLÈBRES AMANTS

Suléîka ! pour vous je m’arrêtais de boire Le vin que me versait l’échanson…

C’est pour vous que, Boabdil, à Grenade, J’arrosais les lauriers roses du Généraliffe.

Je fus Soliman, quand, Balkis, vous vîntes des provinces du Sud pour me proposer des énigmes.

Tamar, je fus Amnon votre frère, qui se mourait de ne pouvoir vous posséder.

Bethsabé, quand, suivant une colombe d’or jusque sur la plus haute terrasse de mon palais, je vous vis, prête au bain, descendre nue, je fus David qui fit se tuer pour moi votre mari.

J’ai chanté pour vous, Sulamite, des chants tels qu’on les croit presque religieux.

Fornarine, je suis celui qui criait d’amour dans tes bras.

Zobéide, je suis l’esclave que vous rencontrâtes au matin, dans la rue qui menait à la place publique ; je portais un panier vide sur ma tête, et vous me le fîtes emplir, vous