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défiance de moi plus grande encore, comme l’étrange avertissement que, prétendre fixer d’avance des limites au pouvoir de l’intelligence humaine était folie — folie aussi présomptueuse en son genre que prétendre prévoir et dessiner d’avance les futures manifestations de ce pouvoir, et que de les croire infinies.


Sans cesse des moyens nouveaux permettent au savant des investigations et des précisions nouvelles, chaque nouvelle découverte servant de moyen à son tour ; mais précisément pour cela, et parce qu’ainsi chaque effort nouveau s’additionne, chaque effort ancien s’y confond et s’anonymise, de sorte que l’on n’y considère jamais en chaque partie que la plus récente victoire, — l’on peut donc dire (et c’est presque une tautologie) que les limites de la science se reculent toujours dans le sens même de son progrès. La question est : jusqu’où ira-t-elle ?


En art, la question se pose d’une manière très différente. Le mot « progrès » y perd tout sens, et, comme l’écrivait naguère Ingres : on ne peut entendre dire de sang-froid et lire « que la génération présente jouit, en les voyant, des immenses progrès que la peinture a faits depuis la Renaissance jusqu’à nos jours. » La question ne sera donc plus : jusqu’où la peinture, la musique, la littérature iront-elles ? mais, plus vaguement