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— C’est cette mutilation que je crains. Ceci aussi, que tu vas supprimer, vient du Père.

— Eh ! non pas supprimer : réduire, t’ai-je dit.

— Je t’entends bien. C’est tout de même ainsi que j’avais réduit mes vertus.

— Et c’est aussi pourquoi maintenant je les retrouve. Il te les faut exagérer. Comprends-moi bien : ce n’est pas une diminution, c’est une exaltation de toi que je propose, où les plus divers, les plus insubordonnés éléments de ta chair et de ton esprit doivent symphoniquement concourir, où le pire de toi doit alimenter le meilleur, où le meilleur doit se soumettre à…

— C’est une exaltation aussi que je cherchais, que je trouvais dans le désert — et peut-être pas très différente de celle que tu me proposes.

— À vrai dire, c’est te l’imposer que je voudrais.

— Notre Père ne parlait pas si durement.

— Je sais ce que t’a dit le Père. C’est vague. Il ne s’explique plus très clairement ; de sorte qu’on lui fait dire ce qu’on veut. Mais moi je connais bien sa pensée. Auprès des serviteurs j’en reste l’unique interprète et qui veut comprendre le Père doit m’écouter.

— Je l’entendais très aisément sans toi.

— Cela te semblait ; mais tu comprenais mal. Il n’y a pas plusieurs façons de comprendre le Père ; il n’y a pas plusieurs façons de l’écouter. Il n’y a pas plusieurs façons de l’aimer ; afin que nous soyons unis dans son amour.

— Dans sa Maison.

— Cet amour y ramène ; tu le vois bien, puisque te