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la porte étroite

Mon cœur battait si fort que je crois qu’elle le sentit ; elle reprit plus tendrement : — Non ; pas encore…

Et comme je lui demandais :

— Pourquoi ?

— Mais c’est moi qui peux te demander : pourquoi ? pourquoi changer ?

Je n’osais lui parler de la conversation de la veille, mais sans doute elle sentit que j’y pensais, et, comme une réponse à ma pensée, dit en me regardant fixement :

— Tu te méprends, mon ami : je n’ai pas besoin de tant de bonheur. Ne sommes-nous pas heureux ainsi ?

Elle s’efforçait en vain à sourire.

— Non, puisque je dois te quitter.

— Écoute, Jérôme, je ne puis te parler ce soir… Ne gâtons pas nos derniers instants… Non ; non. Je t’aime autant que jamais ; rassure-toi. Je t’écrirai ; je t’expliquerai. Je te promets de t’écrire, dès demain… dès que tu seras parti. — Va, maintenant ! Tiens, voici que je pleure… laisse-moi.