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la porte étroite

— Ta mère, c’est Alissa qui la rappelle.


L’été, cette année, fut splendide. Tout semblait pénétré d’azur. Notre ferveur triomphait du mal, de la mort ; l’ombre reculait devant nous. Chaque matin j’étais éveillé par ma joie ; je me levais dès l’aurore, à la rencontre du jour m’élançais… Quand je rêve à ce temps, je le revois plein de rosée. Juliette, plus matinale que sa sœur qui prolongeait très tard ses veillées, descendait avec moi dans le jardin. Entre sa sœur et moi elle se faisait messagère ; je lui racontais interminablement notre amour et elle ne semblait pas se lasser de m’entendre. Je lui disais ce que je n’osais dire à Alissa, devant qui, par excès d’amour, je devenais craintif et contraint. Alissa semblait se prêter à ce jeu, s’amuser que je parlasse si gaiement à sa sœur, ignorant ou feignant d’ignorer qu’au demeurant nous ne parlions que d’elle.

Ô feinte exquise de l’amour, de l’excès