Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
la porte étroite

leur vie. Tout ce qui vous déplaît en ma pauvre sœur, elle le doit à des événements que je connais trop pour pouvoir la critiquer aussi sévèrement que vous faites. Il n’y a pas qualité si plaisante de la jeunesse qui ne puisse, à vieillir, se gâter. Ce que vous appelez : agitation, chez Félicie, n’était d’abord qu’élan charmant, prime-saut, abandon à l’instant et grâce… Nous n’étions pas bien différents, je vous assure, de ce que vous paraissez aujourd’hui. J’étais assez pareil à toi, Jérôme ; plus peut-être que je ne le sais. Félicie ressemblait beaucoup à ce qu’est à présent Juliette… oui, physiquement même — et brusquement je la retrouve, ajouta-t-il en se tournant vers sa fille, dans certains éclats de ta voix ; elle avait ton sourire – et ce geste, qu’elle a bientôt perdu, de rester, comme toi, parfois, sans rien faire, assise, les coudes en avant, le front buté dans les doigts croisés de ses mains.

Miss Ashburton se tourna vers moi et presque à voix basse :