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la porte étroite

assombri, mais comme aggravé notre amour. Une vie au monotone cours commença où, comme en un milieu très sonore, le moindre mouvement de nos cœurs s’entendait.


Quelques jours après le départ de ma tante, un soir, à table, nous parlâmes d’elle — je me souviens :

— Quelle agitation ! disions-nous. Se peut-il que les flots de la vie ne laissent pas plus de répit à son âme ? Belle apparence de l’amour, que devient ici ton reflet ? — … Car nous nous souvenions du mot de Gœthe qui, parlant de Mme de Stein, écrivait : « Il serait beau de voir se réfléchir le monde dans cette âme ». Et nous établissions aussitôt je ne sais quelle hiérarchie, estimant au plus haut les facultés contemplatives. Mon oncle, qui s’était tu jusqu’alors, nous reprit en souriant tristement :

— Mes enfants, dit-il, même brisée Dieu reconnaîtra son image. Gardons-nous de juger les hommes d’après un seul moment de