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la porte étroite

Ma mère s’éteignit très doucement un soir, entre Miss Ashburton et moi. La dernière crise qui l’enleva ne semblait d’abord pas plus forte que les précédentes ; elle ne prit un caractère alarmant que vers la fin, avant laquelle aucun de nos parents n’eut le temps d’accourir. C’est près de la vieille amie de ma mère que je restai à veiller la chère morte la première nuit. J’aimais profondément ma mère et m’étonnais malgré mes larmes de ne point sentir en moi de tristesse ; lorsque je pleurais, c’était en m’apitoyant sur Miss Ashburton qui voyait son amie, plus jeune qu’elle de beaucoup d’années, la précéder ainsi devant Dieu. Mais la secrète pensée que ce deuil allait précipiter vers moi ma cousine dominait immensément mon chagrin.

Le lendemain arriva mon oncle. Il me tendit une lettre de sa fille qui ne vint, avec ma tante Plantier, que le jour suivant :

… « Jérôme, mon ami, mon frère, y disait-elle…, combien je me désole de n’avoir pas pu lui dire avant sa mort les quelques mots qui