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la porte étroite

n’a plus été temps du jour où, par amour, nous avons entrevu l’un pour l’autre mieux que l’amour. Grâce à vous, mon ami, mon rêve était monté si haut que tout contentement humain l’eût fait déchoir. J’ai souvent réfléchi à ce qu’eût été notre vie l’un avec l’autre ; dès qu’il n’eût plus été parfait, je n’aurais plus pu supporter… notre amour.

— Avais-tu réfléchi à ce que serait notre vie l’un sans l’autre ?

— Non ! jamais.

— À présent, tu le vois ! Depuis trois ans, sans toi, j’erre péniblement…

Le soir tombait.

— J’ai froid, dit-elle en se levant et s’enveloppant de son châle trop étroitement pour que je pusse reprendre son bras. Tu te souviens de ce verset de l’Écriture, qui nous inquiétait et que nous craignions de ne pas bien comprendre : « Ils n’ont pas obtenu ce qui leur avait été promis, Dieu nous ayant réservés pour quelque chose de meilleur »…

— Crois-tu toujours à ces paroles ?