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la porte étroite

Quelles réflexions me suggéra cette lettre ! Je maudis l’indiscrète intervention de ma tante (qu’était-ce que cette conversation à laquelle Alissa faisait allusion et qui me valait son silence ?), la maladroite attention qui la poussait à me communiquer ceci. Si déjà je supportais mal le silence d’Alissa, ah ! ne valait-il pas mieux mille fois me laisser ignorer que, ce qu’elle ne me disait plus, elle l’écrivait à quelque autre ! — Tout m’irritait ici : et de l’entendre raconter si facilement à ma tante les menus secrets d’entre nous, et le ton naturel, et la tranquillité, le sérieux, l’enjouement…

— Mais non, mon pauvre ami ! rien ne t’irrite, dans cette lettre, que de savoir qu’elle ne t’est pas adressée, me dit Abel, mon compagnon quotidien, Abel à qui seul je pouvais parler et vers qui, dans ma solitude, me repenchaient sans cesse faiblesse, besoin plaintif de sympathie, défiance de moi, et, dans mon embarras, crédit que j’attachais à son conseil, malgré la différence