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L'IMMORALISTE


J’ai dit que je ne l’aimais point — du moins n’éprouvais-je pour elle rien de ce qu’on appelle amour, mais je l’aimais, si l’on veut entendre par là de la tendresse, une sorte de pitié, enfin une estime assez grande. Elle était catholique et je suis protestant… mais je croyais l’être si peu ! le prêtre m’accepta ; moi j’acceptai le prêtre : cela se joua sans impair.

Mon père était, comme l’on dit, « athée », — du moins je le suppose, n’ayant, par une sorte d’invincible pudeur que je crois bien qu’il partageait, jamais pu causer avec lui de ses croyances. Le grave enseignement huguenot de ma mère s’était, avec sa belle image, lentement effacé en mon cœur ; vous savez que je la perdis jeune. Je ne soupçonnais pas encore combien cette première morale d’enfant nous maîtrise, ni quels plis elle laisse à l’esprit. Cette sorte d’austérité dont ma mère m’avait laissé le goût en m’en inculquant les principes, je la reportai toute à l’étude. J’avais quinze ans quand je perdis