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Dès le lendemain, je sortis retrouver Charles sur la ferme. Nous nous dirigeâmes tous deux vers les bois.

Moi qui connaissais mal mes terres et m’inquiétais peu de ne les pas connaître, je fus fort étonné de voir que Charles les connaissait fort bien, ainsi que les répartitions des fermages ; il m’apprit, ce dont je me doutais à peine, que j’avais six fermiers, que j’eusse pu toucher seize à dix-huit mille francs des fermages, et que si j’en touchais à grand-peine la moitié, c’est que presque tout s’absorbait en réparations de toutes sortes et en paiement d’intermédiaires. Certains sourires qu’il avait en examinant les cultures me firent bientôt douter que l’exploitation de mes terres fût aussi excellente que j’avais pu le croire d’abord et que me le donnait à entendre Bocage ; je poussai Charles sur ce sujet, et cette intelligence toute pratique, qui m’exaspérait en Bocage, en cet enfant sut m’amuser. Nous reprîmes jour après jour nos promenades ; la pro-