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du nombre de ceux qui avaient le plus de mérite ; le souverain l’en tira tout à coup pour lui donner le gouvernement de la Grèce : cette grâce, accordée à un homme outragé, annonçait le mépris plutôt que la confiance. Ses amis l’accompagnant jusqu’au port où il devait s’embarquer, il leur dit en soupirant qu’on ornait la victime pour le sacrifice, et que la mort le suivrait de près. Ils osèrent lui répondre que la gloire et l’empire seraient peut-être la récompense d’une résolution généreuse ; que toutes les classes de l’état abhorraient le règne d’un monstre, et que deux cent mille patriotes n’attendaient que la voix d’un chef. Ils choisirent la nuit pour le moment de leur délivrance ; et, dans les premiers efforts des conspirateurs, le préfet de la capitale fut égorgé, et on força les prisons : les émissaires de Léontius crièrent dans toutes les rues : « Chrétiens, à Sainte-Sophie ! » Le texte choisi par le patriarche, « Voici le jour du Seigneur, » fut l’annonce d’un sermon qui acheva d’enflammer tous les esprits ; et, quittant l’église, le peuple indiqua une autre assemblée dans l’Hippodrome. Justinien, en faveur duquel on n’avait pas tiré un seul glaive, fut traîné devant ces juges furieux, qui demandèrent qu’on le punît de mort au même instant. Léontius, déjà revêtu de la pourpre, vit d’un œil de compassion le fils de son bienfaiteur, et le rejeton d’un si grand nombre d’empereurs, prosterné devant lui. Il épargna la vie de Justinien ; on lui coupa, d’une manière imparfaite, le nez et peut-être la langue : l’heureuse flexibilité de l’idiome grec lui donna sur--