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qui n’est qu’une partie de l’ancienne Colchos, a exporté long-temps douze mille esclaves par année. Le nombre des prisonniers ou des criminels n’aurait pu suffire à une si grande consommation ; mais le bas peuple y vit dans la servitude. La fraude et la violence demeurent impunies dans une communauté sans lois ; et les marchés se trouvaient toujours remplis par un abus de l’autorité civile et de l’autorité paternelle. Un pareil trafic[1], qui réduit l’homme à la condition du bétail, peut encourager le mariage et la population, puisqu’une nombreuse progéniture y enrichit d’avides et barbares parens : mais cette source impure de richesses doit empoisonner les mœurs nationales, effacer le sentiment de l’honneur et de la vertu, et presque anéantir l’instinct de la nature : aussi les chrétiens de la Géorgie et de la Mingrélie sont-ils les plus dissolus des hommes, et leurs enfans en bas âge, qu’achètent les étrangers, sont-ils déjà instruits à imiter les vols de leurs pères et la prostitution de leurs mères. Toutefois, au milieu de la plus grossière ignorance, les naturels du pays montrent de la sagacité et une grande adresse de corps ; quoique le défaut d’union et de discipline les expose à l’invasion de leurs voisins plus puissans,

  1. Un ambassadeur de la Mingrélie arriva à Constantinople avec deux cents personnes ; mais il les mangea (il les vendit) une à une, jusqu’au moment où il n’eut plus à sa suite qu’un secrétaire et deux valets. (Tavernier, t. I, p. 365). Un autre Mingrélien vendit aux Turcs douze prêtres et sa femme pour acheter une maîtresse. (Chard., t. I, p. 66).