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fut assuré de l’orthodoxie de l’usurpateur, il le sacra dans l’église de Saint-Jean-Baptiste. Le troisième jour, Phocas fit son entrée publique sur un char traîné par quatre chevaux, au milieu des acclamations d’un peuple insensé. La révolte des troupes fut récompensée par d’abondantes largesses ; et le nouvel empereur, après s’être arrêté quelques momens au palais, assista sur son trône aux jeux de l’Hippodrome. Dans une dispute de préséance qu’eurent les deux factions, son jugement parut favoriser les Verts. « Souvenez-vous que Maurice vit toujours, » s’écrièrent les Bleus ; cette clameur indiscrète avertit et excita la cruauté du tyran. Des ministres de la mort, envoyés par lui à Chalcédoine, arrachèrent Maurice du sanctuaire qu’il avait choisi pour asile, et ses cinq fils furent égorgés sous les yeux de cet infortuné père. [Mort de Maurice et de ses enfans. A. D. 602, 27 nov.]Dans la douleur de son agonie, à chacun des coups qui pénétraient jusqu’à son cœur, il retrouvait cependant assez de force pour s’écrier avec un sentiment de piété : « Tu es juste, ô mon Dieu ! et tes jugemens sont remplis d’équité. » Et tel fut, jusque dans ses derniers momens, son rigoureux attachement à la vérité et à la justice, qu’il révéla aux soldats la pieuse supercherie d’une nourrice qui avait substitué son fils au jeune prince[1]. Cette scène tragique se ter-

  1. Cette généreuse tentative a fourni à Corneille l’intrigue compliquée de sa tragédie d’Héraclius, qu’on ne saisit qu’après l’avoir vue plus d’une fois (Corneille de Voltaire, t. V, p. 300), et qui, dit-on, embarrassa l’auteur lui-même