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achevé, il rejeta avec dédain un présent si indigne de la majesté d’un grand roi[1]. Telles étaient les saillies de l’orgueil du chagan ; mais son avarice était plus constante et plus traitable. On lui envoyait exactement une quantité considérable d’étoffes de soie, de meubles et de vaisselle bien travaillés, et les élémens des arts et du luxe s’introduisirent sous les tentes des Scythes : le poivre et la cannelle de l’Inde stimulaient leur appétit[2] ; le subside ou tribut annuel fut porté de quatre-vingts à cent vingt milles pièces d’or ; et quand il avait été suspendu par des hostilités, le payement des arrérages, avec un intérêt exorbitant, était toujours la première condition du nouveau traité. Le prince des Avares, prenant le ton d’un Barbare qui ne sait point tromper, affectait de se plaindre de la mauvaise foi des Grecs[3] ; mais il était aussi habile dans l’art de la dissimulation et de la perfidie que les peuples les plus civilisés. Le chagan réclamait, en qualité de successeur des Lom-

  1. Théophylacte, l. I, c. 5, 6.
  2. Même lorsqu’il était à la guerre, le chagan aimait à user de ces aromates. Il demandait qu’on lui fît présent de Ινδικας καρυχιας et il reçut πεπερι και φυλλον Ινδων, κασιαν τε και τον λεγομενον κοσ‌τον. (Théophylacte, l. VII, c. 13.) Les Européens des siècles d’ignorance consommaient plus d’épices dans leur viande et leur boisson, que n’en souffrirait la délicatesse d’un palais moderne. (Vie privée des Français, t. II, p. 162, 163.)
  3. Théophylacte, l. VI, c. 6 ; l. VII, c. 15. L’historien grec convient de la vérité et de la justice du reproche du chagan.