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malheureuse était perpétuel et sans espérance. On a donné de grands éloges à la vertu des Romains, qui, durant plus de cinq siècles, ne firent aucun usage de ce privilége si séduisant[1] ; mais ce fait même montre l’inégalité d’une liaison dans laquelle l’esclave ne pouvait renoncer à son tyran, et où le tyran ne voulait point abandonner son esclave. Lorsque les matrones romaines furent devenues les compagnes volontaires et les égales de leurs maris, une nouvelle jurisprudence s’établit, et le mariage se rompit, comme toutes les autres associations, par le désistement d’un des associés. Au bout de trois siècles de prospérité et de corruption, l’application de ce principe devenue fréquente, entraînait les plus funestes abus. Les passions, l’intérêt ou le caprice brisaient chaque jour les liens du mariage : un mot, un signe, un message, une lettre, la bouche d’un affranchi, déclaraient la séparation ; et la plus tendre des liaisons humaines n’était plus qu’une association passagère d’intérêt ou de plaisir. Selon les diverses conditions de la vie, cet arrangement nuisait tour à tour aux deux sexes : une femme inconstante

  1. L’an de Rome 523, Spurius-Carvilius-Ruga répudia une femme bonne et belle, mais qui était stérile. (Denys d’Halycarnasse, l. II, p. 93 ; Plutarque, in Numa, p. 141, Valère-Maxime, l. II, c. 1 ; Aulu-Gelle, IV, 3). Il fut repris par les censeurs et détesté du peuple ; mais la loi ne s’opposa point à son divorce (*).
    (*) Montesquieu raconte et explique autrement ce fait. (Esprit des Lois, l. XVI, c. 16.) (Note de l’Éditeur.)