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fois leur valeur actuelle[1]. Les copies se multipliaient lentement, et on les renouvelait avec précaution ; l’appât du gain excitait des copistes sacriléges à effacer les caractères de l’antiquité ; et Sophocle ou Tacite étaient contraints d’abandonner à des missels, à des homélies et à la légende dorée le parchemin qui renfermait leurs chefs-d’œuvre[2]. Si ce fut le sort des plus belles compositions du génie, il est aisé de voir ce qu’on dut se permettre sur les lourds et stériles ouvrages d’un art qu’on ne cultivait plus. Les livres de jurisprudence intéressaient peu de monde, et n’amusaient personne ; l’usage du moment faisait leur valeur, et ils tombaient pour jamais dès l’instant où les innovations de la mode, un mérite supérieur et l’autorité publique les rendaient inutiles. À l’époque de savoir et de paix qui s’écoula entre Cicéron et le dernier des Antonins, on comptait déjà un très-grand nombre de pertes en ce genre ; des écrivains qui avaient été les

  1. Lorsque Fust ou Faust vendit à Paris pour des manuscrits ses premières Bibles imprimées, le prix d’une copie en parchemin fut réduit de quatre ou cinq cents écus, à soixante, cinquante et quarante. Le public fut d’abord charmé de ce bas prix, puis indigné lorsqu’il eut découvert la fraude. (Maittaire, Annal. typogroph., t. I, p. 12, première édition).
  2. Cet exécrable usage prévalut depuis le huitième, et surtout depuis le douzième siècle, époque où il était devenu presque universel. (Montfaucon, dans les Mémoires de l’Acad., t. VI, p. 606, etc. ; Bibl. raisonn. de la diplom., t. I, p. 176.)