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valoir pour lui ces argumens irrésistibles, et aucun compétiteur n’osant se présenter, le paysan de la Dacie fut revêtu de la pourpre, de l’aveu unanime des soldats, qui connaissaient sa bravoure et sa douceur ; du clergé et du peuple, qui le croyaient orthodoxe ; et des habitans des provinces, qui se soumettaient aveuglément aux volontés de la capitale. Justin, qu’on appelle l’Ancien, pour le distinguer d’un autre empereur de la même famille et du même nom, monta sur le trône de Byzance à l’âge de soixante-huit ans ; et s’il eût été abandonné à lui-même, chaque instant d’un règne de neuf années aurait appris à ses sujets qu’ils avaient bien mal choisi. Son ignorance égalait celle de Théodoric ; et il est assez singulier que, dans un siècle qui n’était pas dépourvu de science, il se trouvât deux monarques qui ne sussent pas lire. Mais le génie de Justin était bien inférieur à celui du roi des Goths : son expérience de l’art de la guerre ne le mettait pas en état de gouverner un empire ; et quoiqu’il eût de la valeur, le sentiment de sa faiblesse le disposait à l’incertitude, à la défiance et à la crainte ; mais les affaires de l’administration étaient conduites avec soin et avec fidélité par le questeur Proclus[1] ; et le vieil empereur se fit un appui des talens et de l’ambition de son neveu Justinien, qu’il adopta après l’avoir tiré de sa solitude rustique de la Dacie, et

  1. Procope (Persic., l. I, c. 11) donne des éloges à ses vertus. Le questeur Proclus était l’ami de Justinien, et il eut soin d’empêcher que l’empereur ne fit une seconde adoption.