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artifices des flatteurs dont il avait toujours été également environné depuis son enfance, ni à l’impétuosité des passions dont la douce modération de ce prince paraît l’avoir garanti. Un examen plus approfondi de la vie de Gratien nous fera peut-être découvrir la cause qui anéantit les espérances du public. Ses vertus apparentes n’étaient point de ces jets vigoureux que produisent l’expérience et l’adversité, c’étaient les fruits précoces d’une éducation de prince. La tendre sollicitude de son père s’était occupée sans relâche à lui procurer des talens qu’il estimait peut-être d’autant plus, qu’il en sentait la privation ; et les plus habiles maîtres dans les sciences et dans les arts avaient contribué à former et à embellir l’esprit et le corps du jeune Gratien[1] : on répandait avec ostentation, on célébrait par des louanges immodérées les connaissances qu’ils lui avaient péniblement communiquées : son caractère doux et docile recevait facilement l’impression de leurs sages préceptes ; et l’absence des passions passait en lui pour l’effort d’une raison prématurée. Ses précepteurs, élevés insensiblement au rang de ministres d’état[2], dissimulèrent sagement aux yeux du pu-

  1. Valentinien était plus indifférent sur la religion de son fils, puisqu’il confia l’éducation de Gratien à Ausone, qui faisait publiquement profession du paganisme. (Mém. de l’Acad. des inscript., tom. XV, p. 125-138.) La réputation qu’Ausone obtint comme poète donne mauvaise idée du goût de son siècle.
  2. Ausone fut successivement préfet du prétoire de l’Ita-