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livra la multitude indocile du joug intolérable de la prudence et de la discipline. Ces Barbares, long-temps contenus par son autorité, se livrèrent alors à tous les excès de leurs passions, et leurs passions étaient rarement constantes. Une armée de conquérans se morcela et se divisa en bandes de voleurs féroces et sans ordre, dont la fureur aveugle et capricieuse devint aussi funeste à eux-mêmes qu’elle l’était à leurs ennemis. Naturellement portés à nuire, ils brisaient ou détruisaient tout ce qu’ils ne pouvaient pas emporter, ou dont ils ne savaient pas jouir, et brûlaient souvent, dans leur rage imprévoyante, les moissons ou provisions de grains dont ils manquaient bientôt pour leur subsistance. Un esprit de discorde divisa les tribus indépendantes et les nations qui ne s’étaient réunies que par une alliance volontaire. Les Huns et les Alains insultaient à la fuite des Goths, qui n’étaient pas disposés à user avec modération de la prospérité. L’ancienne jalousie des Ostrogoths et des Visigoths se réveilla, et les chefs orgueilleux se rappelèrent les injures qu’ils avaient réciproquement souffertes ou fait souffrir lorsqu’ils habitaient tous au-delà du Danube. Le progrès de leur haine particulière affaiblit leur aversion pour le nom romain, et les officiers de Théodose achetèrent par des dons et des promesses, la retraite ou le service des partis mécontens. L’acquisition de Modar, prince du sang royal des Amali, procura aux Romains un partisan hardi et fidèle ; il obtint bientôt le rang de maître général, et un com-