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avait eu peine à laisser aux païens l’exercice de leurs superstitions, Julien se trouvait excepté, par son rang, de la tolérance générale. L’apostat devint bientôt l’héritier présomptif de la monarchie, et sa mort seule aurait pu calmer les justes appréhensions des chrétiens[1]. Mais, aspirant à la gloire d’un héros plutôt qu’à celle d’un martyr, il crut devoir à sa sûreté de dissimuler ses opinions religieuses, et les principes accommodans du polythéisme lui permirent de prendre part au culte public d’une secte qu’il méprisait au fond de son cœur. Loin de blâmer cette hypocrisie, son ami Libanius en a fait un sujet d’éloges. « L’aimable vérité, dit cet orateur, rentra dans l’esprit de Julien après qu’on l’eut purifié des erreurs et des folies de son éducation, ainsi qu’on replace dans un temple magnifique les statues des dieux, souillées autrefois par des ordures. Ses opinions n’étaient plus les mêmes ; mais comme il eût été dangereux de les avouer, il ne changea pas de conduite. Bien différent de l’âne d’Ésope, qui se cachait sous la peau d’un lion, notre lion fut contraint de se couvrir de la peau d’un âne, et, quoiqu’il eût adopté les maximes de la raison, d’obéir aux lois de la prudence et de la nécessité[2]. » La dissimu-

  1. Saint Grégoire (III, p. 50), avec un zèle inhumain, reproche à Constance d’avoir épargné le jeune apostat (κακως σωθεντα). Son traducteur français (p. 265) a soin d’observer que ces expressions ne doivent pas être prises à la lettre.
  2. Libanius, orat. parent., c. 9, p. 233.