Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 3.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec peine à la persécution, voulait en faire l’épreuve sous ses yeux, avant de donner entrée aux désordres et au mécontentement qu’un pareil acte devait nécessairement produire dans les provinces éloignées. À la vérité, on défendit d’abord aux magistrats de répandre le sang ; mais on leur permit, on leur recommanda même d’employer toute autre voie de rigueur. Les chrétiens, quoique prêts à se dépouiller volontairement des ornemens de leurs églises, ne pouvaient se résoudre à interrompre leurs assemblées religieuses, ni à livrer aux flammes leurs livres sacrés. La pieuse opiniâtreté de saint Félix, évêque d’Afrique, paraît avoir embarrassé les ministres subordonnés du gouvernement. L’intendant de sa ville l’envoya chargé de fers au proconsul ; celui-ci l’adressa au préfet du prétoire de l’Italie ; et saint Félix, qui, dans ses réponses, dédaignait même d’avoir recours à des subterfuges, fut enfin décapité à Vénuse, en Lucanie, ville célèbre par la naissance d’Horace[1]. Cet exemple, et peut-être quelque rescrit impérial qui en fut la suite, paraissait autoriser les gouverneurs des provinces à punir de mort les chrétiens qui refuseraient de donner leurs livres sacrés. Plusieurs fidèles embrassèrent sans doute une occasion si favorable d’obtenir la couronne du martyre ; mais il y en eut aussi beaucoup trop qui rache-

  1. Voyez les Acta sincera de Ruinart, p. 353. Les actes de Félix de Thibara ou Tibiur paraissent bien moins corrompus ici que dans les autres éditions, qui fournissent un exemple frappant de la licence des légendaires.