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publique indignement outragée. Le souverain de Rome, à la tête d’une armée moins formidable par le nombre que par la valeur et par la discipline, s’était avancé jusqu’au détroit qui sépare l’Europe de l’Asie. C’était là qu’il devait éprouver que le pouvoir le plus absolu est un faible rempart contre les efforts du désespoir. Il avait menacé de punir un de ses secrétaires accusé d’exaction, et l’on savait que l’empereur menaçait rarement en vain. Il ne restait au criminel d’autre ressource que d’envelopper dans son danger les principaux officiers de l’armée, ou du moins de leur inspirer les mêmes alarmes. Habile à contrefaire la main de son maître, il leur montra une liste nombreuse de personnes destinées à la mort, parmi lesquelles leurs noms se trouvaient inscrits ; sans soupçonner ou sans examiner la fraude, ils résolurent de prévenir l’arrêt fatal en massacrant l’empereur. Ceux d’entre les conjurés qui, par leurs emplois avaient le droit d’approcher de sa personne, l’attaquèrent subitement entre Byzance et Héraclée ; après une courte résistance, il périt de la main de Mucapor, général qu’il avait toujours aimé. [A. D. 275. Janvier.]Aurélien emporta au tombeau les regrets de l’armée et la haine du sénat. Ses exploits, ses talens, sa fortune avaient excité une admiration universelle. À sa mort l’état perdit un réformateur utile, dont la sévérité pouvait être justifiée par la corruption générale[1].

  1. Vopiscus, Hist. Aug., p. 221 ; Zosime, l. I, p. 57, Eutrope, IX, 15 ; les deux Victor.