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lards, enfans, tous subsistaient par leur industrie ; le boiteux même ou l’aveugle ne manquait pas d’occupations convenables à son état[1]. Mais le peuple d’Alexandrie, composé de plusieurs nations, réunissait à la vanité et à l’inconstance des Grecs l’opiniâtreté et la superstition des Égyptiens. Le plus léger motif, une disette momentanée de poisson ou de lentilles, l’oubli d’un salut accoutumé, une méprise pour quelque préséance dans les bains publics, quelquefois même une dispute de religion[2], suffisait, en tout temps, pour exciter des orages au milieu de cette grande multitude, et y élever des ressentimens furieux et implacables[3]. Lorsque la captivité de Valérien et l’indolence de son fils eurent relâché l’autorité des lois, les Alexandrins s’abandonnèrent à la rage effrénée de leurs passions ; leur malheureuse patrie devint le théâtre d’une guerre civile qui, pendant plus de douze ans, fut à peine suspendue[4] par un petit nombre de trèves courtes et mal observées. On avait coupé toute communication entre les différens quartiers de la

  1. Voyez une lettre très-curieuse d’Adrien, dans l’Histoire Auguste, p. 245.
  2. Tel que le meurtre d’un chat sacré. Voyez Diodore de Sicile, l. I.
  3. Histoire Auguste, p. 195. Cette longue et terrible sédition fut occasionnée par une dispute qui s’éleva entre un soldat et un bourgeois, au sujet de souliers.
  4. Denis, apud Euseb., Hist. Ecclés., vol. VII, p. 21 ; Ammien, XXII, 16.