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que art ou science que ce fût. C’était un bon empereur et un grand général. Aucun homme ne remporta plus ou de plus grandes victoires. Belgrade seule résista à ses attaques. Sous son règne, le soldat fut toujours victorieux ; le citoyen, riche et tranquille. Lorsqu’il avait soumis un pays, son premier soin était de construire des mosquées, des caravanserais, des colléges et des hôpitaux. Il donnait tous les ans mille pièces d’or aux fils du prophète ; il en envoyait deux mille cinq cents aux personnes pieuses de la Mecque, de Médine et de Jérusalem[1]. » Ce portrait est tiré d’un historien de l’empire ottoman. Mais les plus cruels tyrans ont obtenu des louanges d’un peuple esclave et superstitieux ; et les vertus d’un sultan ne sont souvent que les vices qui lui sont le plus utiles ou qui sont le plus agréables à ses sujets. Une nation qui n’a jamais connu les avantages égaux pour tous des lois et de la liberté, peut se laisser imposer par les saillies du pouvoir arbitraire. La cruauté du despote prend à ses yeux le caractère de la justice ; elle appelle libéralité ce qui n’est que profusion, et décore l’obstination du nom de fermeté. Sous le règne de celui qui rejette les excuses les plus raisonnables, il se trouve peu d’actes de soumission impossible, et le coupable doit nécessairement trem-

  1. Voyez Cantemir (Hist. de l’Empire ottoman, p. 94). Murad ou Morad serait peut-être plus correct ; mais j’ai préféré le nom généralement connu à cette exactitude minutieuse, et très-peu sûre lorsqu’il faut convertir des caractères orientaux en lettres romaines.