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proche des Tartares[1], que la crainte et l’ignorance représentaient comme une espèce différente du genre humain. Depuis l’invasion des Arabes dans le huitième siècle, l’Europe n’avait point été exposée à une pareille calamité ; et si les disciples de Mahomet opprimaient les consciences et la fierté, il y avait à craindre que les pâtres de la Scythie n’anéantissent les villes, les arts et toutes les institutions de la société civile. Le pontife de Rome essaya d’apaiser et de convertir ces invincibles païens ; il leur envoya des moines de l’ordre de saint Dominique et de saint François. Mais le grand-khan leur répondit que les fils de Dieu et de Gengis étaient revêtus d’un pouvoir divin pour soumettre ou exterminer les nations, et que le pape serait enveloppé dans la destruction générale, s’il ne venait visiter lui-même, comme suppliant, la horde royale. L’empereur Frédéric II employa un moyen plus courageux de défense. Il écrivit aux princes d’Allemagne, aux rois de France et d’Angleterre ; il leur peignit le danger commun, et les pressa d’armer leurs vassaux pour cette juste et sage

  1. Dans l’année 1238, les habitans de la Gothie, aujourd’hui la Suède, et ceux de la Frise n’osèrent point envoyer comme à l’ordinaire leurs vaisseaux à la pêche du hareng sur les côtes d’Angleterre, parce qu’ils redoutaient les Tartares ; et comme il n’y eut point d’exportation, on vendait quarante ou cinquante de ces poissons pour un schelling (Matthieu Paris, p. 396). Il est assez plaisant que les ordres d’un khan des Mongouls qui régnait sur les confins de la Chine, aient fait baisser le prix des harengs dans les marchés de l’Angleterre.