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encouragé le commerce et la navigation, et les Latins se seraient éclairés et enrichis par une correspondance amicale avec les peuples de l’Orient. Je n’aperçois qu’un seul point sur lequel les croisades aient produit un bien, ou du moins fait disparaître un mal. La portion la plus considérable des habitans de l’Europe languissait enchaînée sur sa terre natale, sans propriété, sans liberté et sans lumières ; les nobles et les ecclésiastiques, qui ne composaient relativement qu’un très-petit nombre, semblaient seuls mériter le nom d’hommes et de citoyens. Les artifices du clergé et l’épée des barons maintenaient ce système tyrannique. L’autorité des prêtres avait été utile dans les siècles de barbarie ; sans eux la lumière des sciences se serait tout-à-fait éteinte. Ils adoucirent la férocité de leurs contemporains ; le faible et l’indigent trouvèrent chez eux un asile et des secours dans leurs besoins ; enfin on leur dut la conservation ou le retour de l’ordre civil de la société. Mais l’indépendance, le brigandage et les discordes des nobles ne produisirent jamais que des désordres et des calamités ; la main de fer de l’aristocratie militaire détruisait tout espoir d’industrie et de perfectionnement. On doit considérer les croisades comme une des causes qui contribuèrent le plus efficacement à renverser l’édifice gothique du système féodal. Les barons vendirent leurs terres, et une partie de leur race disparut dans ces expéditions périlleuses et dispendieuses. Leur pauvreté força leur orgueil à accorder ces chartres de liberté qui relâchèrent les