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Saint Bernard s’applaudit d’avoir réussi à dépeupler l’Europe ; il affirme que les villes et les châteaux se trouvèrent sans habitans, et calcule qu’il ne restait qu’un homme pour la consolation de sept veuves[1]. Les aveugles fanatiques, entraînés par ses discours, voulurent le choisir pour leur général ; mais il avait devant les yeux l’exemple de Pierre l’ermite ; content d’assurer aux croisés la faveur divine, il eut la sagesse de refuser le commandement d’une entreprise militaire dont les revers ou les succès auraient également obscurci la réputation de ses vertus évangéliques[2]. Cependant, après l’événement désastreux de cette croisade, l’abbé de Clairvaux fut hautement traité de faux prophète et d’auteur des calamités publiques. Ses ennemis triomphèrent, ses amis demeurèrent confus, et l’on ne vit paraître que bien tard une apologie peu satisfaisante de sa conduite. Saint Bernard y allègue son obéissance aux ordres du pape, s’étend sur les voies mystérieuses de la Providence, impute les malheurs des chrétiens à leurs crimes, et insinue modeste-

  1. Mandastis et obedivi… multiplicati sunt super numerum ; vacuantur urbes et castella ; et pene jam non inveniunt quem apprehendant septem mulieres unum virum ; adeo ubique viduæ vivis remanent viris (S. Bern. epist., p. 247). Il faut avoir soin de ne pas faire de pene un substantif.
  2. Quis ego sum ut disponam acies ; ut egrediar ante facies armatorum, aut quid tam remotum à professione meâ, si vires, si peritia, etc. (Epis. 256, t. I, p. 259). Il parle avec mépris de Pierre l’ermite, vir quidam (epist. 363).