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passaient sous les murs d’Antioche. Le bosquet de Daphné n’existait plus, mais l’air de Syrie était encore imprégné des mêmes vices, et les chrétiens ne résistèrent ni aux tentations que la nature inspire, ni à celles qu’elle réprouve[1]. Ils méprisaient l’autorité de leurs chefs ; les sermons et les édits étaient impuissans contre des désordres aussi contraires à la discipline militaire qu’à la pureté évangélique. Dans les premiers jours du siége et de la possession d’Antioche, les Francs dissipèrent, avec toute la prodigalité de l’insouciance et de l’irréflexion, des provisions qu’une frugale économie aurait pu faire durer plusieurs semaines et même plusieurs mois ; les environs dévastés ne pouvaient plus rien fournir, et l’armée des Turcs, dont ils étaient environnés, leur ôta même bientôt toute communication avec le reste du pays. Les maladies, fidèles compagnes de la disette, furent envenimées par les pluies de l’hiver, les chaleurs de l’été, la nourriture malsaine et l’entassement de la multitude. Les tableaux repoussans de la peste et de la famine sont toujours les mêmes, et notre imagination peut aisément nous indiquer la nature de leurs souffrances et de leurs ressources. Les restes des trésors ou du butin étaient prodigués pour se procurer les plus vils alimens ; et quelle devait être la misère du pauvre, puisque après avoir donné trois

  1. Voyez la fin tragique et scandaleuse d’un archidiacre de race royale, qui fut tué par les Turcs, tandis qu’il jouait aux dés dans un verger avec une concubine syrienne.