Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment et la guerre étaient les passions chéries des Francs ou Latins ; on leur ordonnait de s’y livrer par esprit de pénitence ; de se transporter dans des pays éloignés, et de tirer leur épée contre les peuples de l’Orient ; le succès, ou même l’entreprise, devait immortaliser les noms des héros de la croix, et la piété la plus pure pouvait ne pas être insensible à cette brillante perspective de gloire militaire. Dans leurs petites guerres européennes, ils versaient le sang de leurs amis ou de leurs compatriotes pour acquérir peut-être un village ou un château ; ils devaient donc marcher avec joie contre les nations étrangères, ennemis dévoués à leurs armes ; déjà ils saisissaient en imagination les riches couronnes de l’Asie, et les succès des Normands, dans la Pouille et dans la Sicile, semblaient promettre un trône au plus obscur des aventuriers. Le pays des chrétiens, dans ces temps de barbarie, le cédait à celui des Mahométans pour le climat et pour la culture ; les avantages que la nature et l’art prodiguaient à l’Asie avaient été considérablement exagérés par le zèle ou l’enthousiasme des pèlerins, et par l’idée qu’en donnaient à l’Europe les produits d’un commerce dans l’enfance ; la crédulité du vulgaire de toutes les classes se prêtait au récit de toutes les merveilles de cette terre arrosée par des sources de miel et des ruisseaux de lait, remplie de mines d’or et de diamans, couverte de palais de marbre et de jaspe, ombragée de bosquets odoriférans de cinnamomum et d’encens. Chaque guerrier comptait sur son épée pour acquérir, dans ce para-