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privé de ces fidèles miroirs qui réfléchissent pour nous les pensées des sages et des héros. Le livre de la nature et de l’homme était, à la vérité, ouvert devant ses yeux ; cependant c’est à l’imagination des auteurs de la vie de Mahomet qu’il faut attribuer les observations politiques et philosophiques qu’ils lui prêtent dans ses voyages[1]. On l’y voit comparer les nations et les religions de la terre, découvrir la faiblesse de la monarchie de Perse et de celle de Rome, observer avec indignation et avec pitié l’abâtardissement de son siècle, et former le projet d’unir sous un même roi et sous un même Dieu l’invincible valeur et les anciennes vertus des Arabes. Des recherches plus exactes nous apprennent que Mahomet n’avait point vu les cours, les armées et les temples de l’Orient, que ses voyages se bornèrent à ce qu’il traversa de la Syrie en se rendant deux fois aux foires de Bostra et de Damas ; qu’il n’avait que treize ans lorsqu’il accompagna la caravane de son oncle, et qu’il fut obligé de retourner chez Cadijah dès qu’il eut disposé des marchandises qu’elle lui avait confiées. Dans ses courses précipitées et superficielles,

  1. Le comte de Boulainvilliers (Vie de Mahomet, p. 201-228) fait voyager Mahomet comme le Télémaque de Fénelon et le Cyrus de Ramsay. Son voyage à la cour de Perse est vraisemblablement une fable, et je ne puis m’expliquer d’où vient cette exclamation : « Les Grecs sont pourtant des hommes ! » Presque tous les écrivains arabes, musulmans et chrétiens, parlent des deux Voyages de Syrie (Gagnier, ad Abulféda, p. 10).