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l’infortuné[1] Théophile implorait le secours tardif et incertain de son rival l’empereur des Francs. Cependant soixante-dix mille musulmans avaient perdu la vie au siége d’Amorium ; ils avaient été vengés par le massacre de trente mille chrétiens, et par les cruautés exercées envers un égal nombre de captifs qui furent traités comme les plus atroces criminels. La nécessité obligea quelquefois les deux partis à consentir à l’échange et à la rançon des prisonniers[2] ; mais dans cette lutte nationale et religieuse des deux empires, la paix était sans confiance et la guerre sans quartier ; rarement l’accordait-on

  1. On l’appelait en Orient Δυσ‌τυχης (Continuator Théoph., l. III, p. 84). Mais telle était l’ignorance des peuples de l’Occident, que leurs ambassadeurs ne craignirent pas, dans un discours public, de parler de victoriis quas adversus exteras bellando gentes cælitus fuerat assecutus (Annal. Bertinian., apud Pagi, t. III, p. 720).
  2. Abulpharage (Dynast., p. 167, 168) rapporte un de ces singuliers échanges qui eut lieu sur le pont du Lamus en Cilicie, limite des deux empires, et situé à une journée à l’ouest de Tarse (d’Anville, Géogr. ancien., t. II, p. 91). Quatre mille quatre cent soixante musulmans, huit cents femmes et enfans, et cent alliés furent échangés contre un égal nombre de Grecs. Ils passèrent les uns devant les autres au milieu du pont ; et lorsque de part et d’autre ils eurent atteint leurs compatriotes, ils s’écrièrent Allah Achar et Kyrie eleison ! Il est vraisemblable qu’alors on échangea le plus grand nombre des prisonniers d’Amorium ; mais la même année (A. H. 231) les plus illustres d’entre eux, désignés par la dénomination des quarante-deux martyrs, furent décapités par ordre du calife.