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cent soldats pesamment armés. Cette nombreuse escadre s’avançait vers le Bosphore sur une mer tranquille, par un bon vent, et, pour me servir ici des expressions des Grecs, une forêt mouvante ombrageait la surface du détroit ; le général sarrasin avait fixé la nuit fatale destinée à un assaut général par mer et par terre. Afin d’augmenter la confiance de l’ennemi, l’empereur avait fait abattre la chaîne qui gardait l’entrée du port ; mais tandis que les musulmans examinaient s’ils profiteraient de l’occasion ou s’ils n’avaient pas à craindre quelque piège, la mort les enveloppa. Les Grecs lancèrent leurs brûlots ; les Arabes, leurs armes et leurs navires devinrent la proie des flammes ; ceux des vaisseaux qui voulurent prendre la fuite, se brisèrent les uns contre les autres ou furent engloutis par les vagues, et on ne trouve dans les historiens aucun vestige de cette escadre qui menaçait d’anéantir l’empire. Les musulmans firent une perte encore plus irréparable ; le calife Soliman mourut d’une indigestion[1] dans son camp, près de Kinnisrin ou Chalcis en Syrie, lorsqu’il se préparait à marcher à Constantinople

  1. Le calife avait mangé deux paniers d’œufs et de figues, qu’il avalait alternativement, et il avait terminé son repas par un composé de moelle et de sucre. Dans un de ses pèlerinages à la Mecque, Soliman mangea en une seule fois dix-sept grenades, un chevreau, six volailles et un grand nombre de raisins de Tayef. Si le menu du diner du souverain de l’Asie est exact, il faut admirer son appétit plutôt que son luxe. (Abulféda, Annal. modem., p. 126.)