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corps de nation ; et, dans chaque communauté, la juridiction du magistrat était impuissante et muette ; la tradition conserve le souvenir de dix-sept cents batailles[1], données à ces époques d’ignorance qui précédèrent Mahomet : l’animosité des factions civiles rendait les hostilités plus vives, et le récit, en prose ou en vers, d’une vieille querelle, suffisait pour rallumer les mêmes passions chez les descendans des peuplades ennemies. Dans la vie privée, chaque homme, ou du moins chaque famille, était le juge et le vengeur de sa propre cause. Cette susceptibilité de l’honneur, qui calcule l’outrage plutôt que le tort, empoisonne de son mortel venin toutes les querelles des Arabes ; l’honneur de leurs femmes et celui de leurs barbes se blessent aisément ; une action indécente, une parole de mépris, ne peut être expiée que par le sang du coupable ; et telle est la patience de leur haine, qu’ils attendent des mois et des années entières l’occasion de se venger. Les Barbares de tous les siècles ont admis une amende ou une compensation pour le meurtre ; mais en Arabie, les parens du mort sont les maîtres d’accepter la satisfaction, ou d’exercer de leurs mains le droit de représailles. Leur

  1. Ou selon un autre calcul, douze cents (d’Herbelot, Bibl. orient., p. 75). Les deux historiens qui ont écrit sur les Ayam-al-Arab, toutes les batailles des Arabes, vivaient aux neuvième et dixième siècles. Deux chevaux donnèrent lieu à la fameuse guerre de Dahes et de Gabrah, qui dura quarante ans, et qui devint proverbiale (Pococke, Specimen, p. 48).