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fils et le frère de Witiza. Les deux princes et l’archevêque de Tolède se trouvaient au poste le plus important : ils surent choisir à propos le moment de leur défection ; les rangs des chrétiens se trouvèrent rompus ; la frayeur et le soupçon s’étant emparés de tous, chacun ne songea plus qu’à sa sûreté personnelle, et les restes de l’armée des Goths, poursuivis pendant trois jours par les vainqueurs, furent entièrement détruits ou dispersés. Au milieu du désordre général, Roderic s’élança de son char et sauta sur son cheval Orelia, le plus léger de ses coursiers ; mais il n’échappa au genre de mort qui convient à un soldat que pour périr moins noblement dans les eaux du Bœtis ou du Guadalquivir. On trouva sur le rivage son diadème, sa robe et son coursier ; mais comme son corps avait disparu dans les flots, la tête que le calife reçut pour la sienne et fit exposer avec orgueil devant le palais de Damas, était probablement celle de quelque victime plus obscure. « Tel est, dit un valeureux historien des Arabes, le sort des rois qui se tiennent éloignés du champ de bataille[1]. »

  1. Id sane infortunii regibus pedem ex acie referentibus sæpe contingit. (Ben-Hazil de Grenade, in Bibl. arabico-hispana, t. II, p. 323.) De crédules Espagnols pensent que Roderic se réfugia dans la cellule d’un ermite ; d’autres disent qu’on le jeta vif dans un tonneau plein de serpens, et qu’il s’écria d’une voix lamentable : « Ils me déchirent par où j’ai tant péché ! » (Don Quichotte, part. II, l. III, c. 1.)