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confuse à la religion et au pouvoir des successeurs de Mahomet. Les tribus indépendantes prirent sous le drapeau de leur reine Cahina une sorte d’accord et de discipline ; et comme les Maures attribuaient à leurs femmes le don de prophétie, ils attaquèrent les musulmans de leur pays avec un fanatisme égal au leur. Les vieilles troupes de Hassan ne pouvaient suffire à la défense de l’Afrique ; les conquêtes d’une génération furent perdues en un jour ; le général arabe, entraîné par le torrent, se retira sur les frontières de l’Égypte, et y attendit cinq années les secours que lui promettait le calife. Après la retraite des Sarrasins, la prophétesse victorieuse assembla les chefs des Maures, et leur donna un étrange conseil bien digne de la politique des sauvages. « Nos villes, dit-elle, et l’or et l’argent qu’elles contiennent, attirent sans cesse les Arabes ; ces vils métaux ne sont pas l’objet de notre ambition ; les simples productions de la terre nous suffisent. Détruisons ces villes, ensevelissons sous leurs ruines ces funestes trésors, et lorsque nous n’offrirons plus d’appât à la cupidité de nos ennemis, peut-être cesseront-ils de troubler la tranquillité d’un peuple qui sait faire la guerre. » Cette proposition reçut des applaudissemens unanimes. De Tangier à Tripoli, on démolit les édifices ou du moins les fortifications ; on coupa les arbres fruitiers, on anéantit les moyens de subsistance ; des cantons fertiles et peuplés devinrent des déserts, et les historiens des temps postérieurs remarquaient souvent les traces de la prospérité et de la dévastation de